Vaches, veaux, cochons, canards: par milliers, braisés, épaules, brochettes, j'en mangeais. Bien sûr, je n'avais pas à les tuer. Que quelqu'un le fasse pour moi, en nettoie le sang coagulé, me brûle les plumes témoins de vie passé, je trouvais ça normal. Pas répugnant, à peine.
Et puis j'ai tué une souris. La tapette l'avait tout juste assommée. Quelques gouttes de sang sur le plancher, et voilà une souris qui au lieu de filer sans demander son reste, se colle entre vos pattes, tremblotant, petite boule de poils quasi immobile, à peine soulevée par un souffle ténu de vie, pff pff pff, elle navigue à vue troublée, se cogne contre le canapé, attend que je l'achève?
Petite souris! Pardon! Petite souris, non, je ne veux pas te tuer, la tapette aurait dû le faire sans que je le voie! Petite souris, ton halètement dit-il que tu souffres? Parle, couine, dis quelque chose!! (d'où mon intérêt pour le langage, qui a le mérite de nous permettre d'exprimer ce qu'on veut, si on le sait, et là où on a mal).
Je t'aime, petite souris, continue de vivre à mes côtés, d'ailleurs pourquoi met-on des tapettes, que nous font-elles à part des petits trous dans nos affaires? C'est quoi un trou dans une serviette, une crotte de rien du tout, mignonne comme un bonbon, dans une casserole, à côté de la vie d'une souris?
Je l'ai laissée vivre une nuit. Vis, petite souris, le sang n'est rien, une nuit et tu seras sur pattes.
Le lendemain, la souris gisait là, vivotant, respirant faiblement. Misère! Que faire? L'achever? Ôter la vie de la souris? Finir le job de la tapette?
Les animaux souffrent-ils? Carnivore hypocrite, toi qui manges des boeufs entiers, foies de canard, convoque donc tes foutus gènes préhistoriques et achève-nous cette souris sans fausse compassion!
J'ai tué la souris. D'un coup violent, plein de désespoir, mains tremblantes, pour être raccord avec ma vie de carnivore.
Pourvu que les animaux ne souffrent pas (trop).