• Photo: Animal Equality
LA MORT....
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On m’avait prévenu. «Le taureau n’est pas sympathique. Non, c’est pas une bête sympathique.» J’ai compris: le méchant, le noir, la mort, c’est lui. Les gentils, c’est nous, les spectateurs et les chamarrés. Et me voilà donc aux arènes de Nîmes au milieu de la foule avinée, éructant un repas lourd, soulevant ici ou là une fesse pour en lâcher un, et fumant le cigare. Trompettes: premier taureau (il y en a six à massacrer après les avoir au préalable saignés). Entre la bête «antipathique», le mufle inquiet. Un des laquais — de cette canaille qui plus tard traînera le cadavre en fouettant des mules harnachées et tintinnabulantes — lui a fiché dans le flanc une épingle à cocarde, histoire de le stimuler. En un instant je comprends tout : ces gens sont là pour avilir ce qui est beau, pour détruire de l’innocence et de la beauté. Ces pourceaux (pardon à mes amis porcs torturés dans des élevages concentrationnaires) enragent de tant de somptuosité campée sur quatre pattes. Il faut violer, avilir, tuer. La «tradition», quoi.
«On va le châtier», explique mon voisin entre deux curetages de dents. Traduction: lui sectionner les muscles du cou pour lui faire baisser la tête, afin que le matador puisse entrer l’épée au-dessus de l’épaule jusqu’au cœur. Et là se produit quelque chose d’incongru. Au lieu d’aller bravement à la pique vers le cheval aveuglé et caparaçonné, le taureau se met à meugler. Il paraît que ces «antipathiques» ne meuglent jamais. Mais celui-là meugle une invraisemblable et primaire interrogation, issue du tréfonds de la nature mutilée et souffrante. C’est sa mère, la terre saccagée et mutilée, qui meugle en lui. Il meugle, il appelle, le mufle au ciel, la poitrine éclatante, d’une beauté à couper le souffle. J’ai l’impression de voir un prisonnier torse nu, les mains liées dans le dos, les yeux éblouis de soleil, au moment d’être pendu. «Il est manso», explique mon voisin au cure-dents. Manso: lâche. Derrière les barrières, la canaille chamarrée se consulte.
Antipathique et lâche, on finit par le conduire à la pique, qui fait son travail. Un sang grumeleux gicle à gros bouillons et tache sa robe. Les gens sont contents, le voisin remastique dans ses chicots les filaments de viande qu’il a extraits, la beauté noire va devenir une dépouille, sale, sanglante, d’ailleurs la bête ne meugle plus, elle tire une langue énorme et bave en donnant des coups perdus d’avance. Ses banderilles gigotent sur son dos lacéré. L’antipathique est fatigué, très fatigué. Il tombe à genoux. Il se relève, tente un coup de tête, retombe à genoux. Se relève. À chaque coup de ses puissants poumons, une fontaine de sang jaillit de sa bouche, une autre du flanc. Trompettes. Silence. Le matador va le tuer. Il le rate. Une fois, deux fois, trois fois.
Tout ça est très laborieux, très mécanique. C’est une torture planifiée, presque bureaucratique, d’un ennui sinistre, où la bêtise le dispute au sadisme machinal. Le cadavre part dans l’indifférence et les murmures, avec une belle trace sanglante, la signature de sa beauté, que des laquais s’empressent d’effacer. La mort et la laideur ont triomphé.
Bernard Maris (décédé lors de l’attentat islamiste à Charlie Hebdo)
L'humain a peur de la nature.
Il ne supporte pas ce qu'il ne maîtrise pas, ce qui lui échappe et persiste en dehors de lui.
L'apparition d'un sanglier dans les rues d'une petite ville suscite des alarmes comme si une horde de terroristes déferlait sur la place publique. Pompiers, policiers sont immédiatement sommés de rétablir l'ordre menacé en abattant l'importun, le sauvage, le redoutable animal qui pourrait bien blesser les enfants ou les vieilles dames.
Il y a trois ans, je fus appelé à intervenir sur une antenne de RADIO FRANCE parce qu'un animal mystérieux avait été entrevu dans l'OISE, une sorte de lynx ou autre fauve inquiétant.
Le préfet déclencha un plan avec battues et déploiements de gendarmes, de gardes forestiers.
La population avait peur.
En fait, il ne fut rien trouvé d'autre qu'un gros chat banal et innocent.
On peut s'interroger sur les raisons de cette phobie irrationnelle de notre faune par une fraction importante de nos contemporains qui aiment la nature mais la veulent domestiquée, sage, contrôlée, jardinée.
Les faits sont cependant éloquents : chaque année, dans le monde, le moustique, vecteur d'agents pathogènes, tue sept cent mille personnes. L'animal humain tue quatre cent cinquante mille humains par les guerres, génocides et meurtres. Les requins tuent moins de dix personnes.
Et la faune européenne ?
Elle ne tue jamais personne.
Ni le chevreuil, ni le cerf, ni l le sanglier, ni l'ours ou le loup ne tuent l'homme.
Alors d'où viennent ces effrois imbéciles face à la forêt, aux animaux dits sauvages qui n'agressent pas l'homme, du moins s'ils ne sont pas acculés. N'a-t-on pas vu, non sans sourire, un chasseur mordu par un lapin qu'il avait blessé ?
Dans nombre de pays d'Europe, Italie, Espagne, Slovénie, Roumanie, ours et loups vivent encore sans que les italiens, Espagnols ou Slovènes se trouvent menacés, attaqués, interdits de fréquenter les espaces naturels où l'homme peut cohabiter avec la faune européenne.
Cette peur de la nature remonte sans doute à des réflexes hérités des temps très anciens où l'animal humain vivait en symbiose avec le milieu naturel et n'était qu'un élément de la faune.
Les religions monothéistes exploitèrent cette séparation radicale de l'humain avec le reste du vivant en distinguant les "gentils",
ceux qui servent l'homme, des "méchants", ceux qui refusent de se soumettre et d'être utiles.
Présentement, le lobby de la chasse redoute plus que tout que nos contemporains réalisent massivement que la faune de notre continent n'est pas dangereuse et peut vivre en harmonie avec nous.
Il faut, pour justifier le loisir de mort, que le sanglier soit féroce, méchant, dangereux, puissant et prompt à mordre et charger.
S'il advenait que les gens comprennent que les animaux dits sauvages fuient l'homme et ne cherchent nullement à l'affronter, la guerre sans honneur faite à la nature serait jugée comme ce qu'elle est : une honte.
La France pâtit, plus que d'autres pays, de cette approche obscurantiste du "sauvage".
Malgré quelques conflits d'usages, les autres pays européens acceptèrent la cohabitation avec le loup qui ne disparut jamais d'Italie et d'Espagne, alors qu'il fut éliminé de France.
Ici, son retour s'est accompagné d'un délire haineux qui n'a rien d'économique, mais qui est purement culturel.
Les éleveurs de moutons français considèrent que la montagne est un parc à moutons, que la nature doit être aseptisée, vouée au seul productivisme et que toute concurrence par des espèces réfractaires à la domestication ou à la disparition est intolérable.
Fantasmes anti-loups, mais aussi fantasmes anti-vautours et plus généralement à l'encontre de tout ce qui ne relève pas de la maîtrise par l'homme.
Le loup est, de ce point de vue, une espèce emblématique.
L'éleveur français exige son éradication totale, comme il veut l'élimination de tout prédateur et de tout compétiteur sauvage.
Or, si l'agriculture subventionnée de ce pays ne supporte pas la présence de quelques centaines de loups, comment pourrions-nous souhaiter le maintien, ailleurs, des éléphants, des rhinocéros, des tigres.
La question posée par le loup est la suivante :
La planète doit-elle n'être qu'un centre de production au service de l'homme ou peut-elle demeurer une terre vivante, accueillante pour toutes les espèces ?
Question éthique fondamentale à laquelle je réponds par une volonté de sauver la vie dans sa merveilleuse diversité.
Constatons que les successifs gouvernements français cédèrent au lobby agro-cynétgétique en donnant des autorisations de tirs de loups, ce qui, d'un point de vue pédagogique, s'avère désastreux et ce d'autant que les braconniers tuent clandestinement des loups, ajoutant ainsi aux prélèvements officiels.
Il en résulte une diminution de la population de loups en ce pays, la dernière année, passant de 302 à 283 individus selon des sondages sérieux.
Il faudrait inversement délivrer un message ferme et clair, selon lequel tout enrichissement de la faune est une chance à accueillir.
L'essentiel est de changer notre rapport à la nature qui a davantage besoin de protection que de "gestion", imposture derrière laquelle se cache des velléités de massacres.
Gérard CHAROLLOIS
CONVENTION VIE ET NATURE
FORCE POUR LE VIVANT