J’exhibe aujourd’hui ton corps pour sauver des vies. S’il est trop tard pour toi, des milliers sont encore vivants et des millions sont à venir – insémination artificielle oblige –, forcés à naître pour satisfaire l’appétit d’amateurs de civets et divers pâtés, connaisseurs de chairs mijotées, ignorants de la misérable vie du petit être qu’ils savourent.
Eux qui vont et viennent librement de par le vaste monde, ils t’ont laissé sur Terre et pour toute ta vie un espace aussi petit qu’une feuille de papier A4, un espace à peine plus grand que toi. Toi dont le corps était fait pour bondir, sauter, jouer, ils t’ont définitivement enfermé dans une cage si basse que tu ne pouvais même pas te dresser, ou faire ne fut-ce un seul pas sans te cogner au grillage ou aux autres.
Enfermé dans ta prison éclairée aux néons, tu mangeais jour après jour les mêmes granulés, sans jamais rien savourer, ni boire une goutte de rosée ou profiter de la chaleur du soleil – même lui, ils le veulent entièrement pour eux.
Bourré d’antibiotiques, les pattes saignantes sur le sol grillagé, les oreilles écorchées, tu as vu nombre de tes camarades de souffrances partir pour le dernier voyage – vers l’abattoir. D’autres, comme toi, sont morts de maladie ou de neurasthénie, petites étoiles si vite éteintes, insignifiantes sinon pécuniaires pour ces humains qui comptabilisent d’un trait sur un carnet la fin de ta non-vie, même pas une survie. Cage 87, un lapin trouvé mort, petit déficit, et c’est ainsi que se remplissent toujours un peu plus les poubelles des élevages.
Je pense que tu ne m’en voudras pas, pauvre lapin, d’exposer ainsi ton cadavre en pleine rue, puisque je suis de celles et de ceux qui luttent pour un monde meilleur pour tous – humains, lapins, veaux, vaches, cochons, oies, canards, poules, poissons, moutons, chèvres, chevaux… la liste est longue de ceux qui souffrent, abandonnés, exploités, affamés, torturés… Utopiste je suis, aujourd’hui encore on me l’a dit, mais l’utopie n’est-elle pas aussi l’aspiration à une réalité idéale ? Et qu’existe-il de plus important que la fin de la souffrance et de l’injustice ? Ce n’est pas toi qui me contrediras, toi dont la vie a été volée.
Des gens s’arrêtent, des gens passent, des gens pleurent, des gens provoquent, rejettent, s’émeuvent, questionnent, tandis que ton corps pèse si densément au creux de mes mains. Et du bout de mes doigts gantés, je caresse doucement ta fourrure encore soyeuse, t’offrant ainsi le seul geste d’amour que tu aies jamais connu.
Clèm
photos : Merry Photography
pour plus d'infos sur l'élevage des lapins, vous pouvez visiter le site de L214