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  • Comment défendre les animaux sans se faire traiter d’idiot ?

     

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    Difficile d’évoquer la question du droit des animaux sans se faire traiter au mieux d’idéaliste, au pire de frustré hyperémotif. Les clichés sont bien ancrés : la défense animale est une affaire de sentiments et on est forcément un clone de Brigitte Bardot ou un cousin de Paul Watson. Mais si les intellectuels s’y mettent aussi, dénigrer les défenseurs de la cause animale va devenir un exercice compliqué.

    Faire passer l’actrice Penelope Cruz pour une hypersensible sous prétexte qu’elle pose contre la fourrure passe encore. Expliquer que Paul McCartney s’implique auprès de l’association de défense animale Peta parce qu’il prend de l’âge, pourquoi pas. Mais accuser le philosophe Alain Finkielkraut, l’ancien ministre Luc Ferry, le sociologue Edgar Morin ou l’astrophysicien Hubert Reeves de sensiblerie… ça commence à devenir ridicule.

    Jeudi, la Fondation 30 millions d’amis a publié un manifeste signé par 24 intellectuels – penseurs, philosophes, écrivains, historiens, scientifiques, etc. – pour demander que les animaux bénéficient d’un régime juridique conforme à leur nature d’êtres vivants. Et que le code civil leur ménage donc une catégorie spécifique entre celle des objets et celle des humains. Un statut juridique qui reconnaisse à l’animal sa sensibilité (à la différence d’un fauteuil ou d’une table par exemple).

    Descartes en faisait des automates

    Si le législateur accède à cette revendication et modifie notre vieux code civil qui date de 1804, il pourrait ainsi bien améliorer la condition des poules de batterie et des rats de laboratoire comme celle des chiens de salon. Sans les mettre au même rang que les hommes. Mais sans non plus laisser ces derniers les traiter n’importe comment. Au pays de Descartes qui assimilait les animaux à des automates, l’appel des 24 prend tout de suite des allures de révolution.

    Que dit la loi ?
    L’article 528 du code civil assimile les animaux à des biens dits meubles, c’est-à-dire des objets que l’on peut déplacer comme des chaises ou des boîtes de conserve. Ils sont considérés comme des objets sur lesquels l’homme peut exercer son droit comme il l’entend. Mais le code rural définit déjà l’animal comme un « être sensible », tandis que le code pénal punit de deux ans de prison et 300 000 euros d’amende au maximum les actes de cruauté et les sévices graves envers les animaux. La création d’un statut juridique propre aux animaux serait donc avant tout symbolique et permettrait d’amorcer un changement des mentalités. Car selon les associations de défense des animaux, les peines prévues au code pénal sont rarement appliquées.

    Car en France, où les lobbys de la chasse et de l’élevage restent très puissants, le droit des animaux est un sujet qui fâche. Même si de nombreuses études scientifiques ont montré que les animaux peuvent ressentir de la douleur, qu’ils ont des capacités de réflexion méconnues leur permettant par exemple d’élaborer des stratégies parfois complexes, ils sont encore globalement considérés comme des outils au service de l’humain.

    Dans le grand public toutefois, la cause animale trouve de plus en plus de soutiens. Alors qu’un Français sur deux possède un animal de compagnie, nos concitoyens commencent à s’intéresser au sort que les hommes leur réservent. Les images diffusées par les associations de la défense animale sur les conditions de vie des poules de batterie ou celles des visons d’élevage ont commencé à pénétrer les esprits.

    Certes, on n’a pas vraiment envie de les voir, mais on a de plus en plus de mal à les ignorer. Hélas, dans les instances décisionnaires, les mentalités peinent à se mettre au diapason de la société. C’est ce qu’a constaté l’année dernière Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des animaux, en déposant un avis auprès du Conseil économique, social et environnemental. Il voulait alors faire évoluer le code civil dans le sens du manifeste actuel. Mais comme il l’explique aujourd’hui, les lobbys de chercheurs, pêcheurs et agriculteurs ont alors stoppé net la saisine du Conseil sur son avis.

    « Insupportable de connerie »

    Les signataires du manifeste, eux, courent peu de risques de se voir dénigrer ou insulter. Et les intérêts économiques défendus par les lobbys n’ont pas de prise sur eux. Comme le souligne l’écrivain Didier van Cauwelaert :

    « Traiter un animal de meuble est insupportable de connerie. Reconnaître les capacités des animaux à souffrir ne relève pas du domaine de la sensiblerie, mais de la sensibilité, il y a nuance. Les questions que l’on pose sur le statut et le droit des animaux sont autant d’occasions de faire avancer le savoir des hommes. Mais elles impliquent aussi une remise en question de la prédominance de l’espèce humaine sur les autres vivants de notre planète, prédominance qui ne repose sur rien puisque nous sommes tous issus d’un ancêtre commun qui est la bactérie initiale… »

    Même dans les milieux scientifiques, le débat sur la question est devenu incontournable. S’il y a dix ans, il n’était pas envisageable de parler « d’intelligence animale » (on employait le terme de « cognition »), certains éthologues acceptent aujourd’hui de reconnaître des émotions aux espèces qu’ils étudient et certains jeunes médecins prônent le développement des méthodes alternatives à l’expérimentation animale en labo.

    « Contre le statut du moustique »

    Pour d’autres intellectuels, le statut et le droit de l’animal ont quand même besoin d’une définition. Le physicien Albert Fert (prix Nobel), sollicité sur le sujet, pose une question essentielle.

    « Il faut déterminer ce que l’on appelle les animaux et où on place la barrière entre les bactéries et les grands singes, par exemple. Il sera difficile de tracer la frontière dans la grande famille du vivant et, personnellement, si je suis pour que l’on accorde un statut propre aux chiens ou aux oiseaux, je suis contre le statut du moustique. »

     

    Article provenant de Rue 89