Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Les végétariens sont des emmerdeurs!

               

    lapin.jpg

    Tous les végétariens ont fait de nombreuses fois l'expérience,  lors d'un souper chez des amis omnivores, de devoir répondre à la curiosité des convives. Quel que soit votre degré de discrétion, difficile d'y échapper et vous voilà de nouveau sur le grill. Il est tout à fait légitime et naturel de s'intéresser à d'autres façons de penser et de  faire. Mais vous constaterez bien vite qu'il ne s'agit pas simplement d'échanger des idées, vous allez vite vous rendre compte qu'il s'agira plutôt de vous prouver que vous vous trompez et que vos choix sont au mieux l'effet d' une sensibilité excessive et au pire de la bêtise.
                Attendez-vous à entendre ce genre de réflexion: " les hommes ont toujours chassé, c'est grâce à ça qu'ils ont survécu" ou "tuer et être tué,  telle est la loi de la nature, pourquoi devait-il en être différemment pour les hommes ?" ou " tu manges bien des plantes, les plantes vivent aussi donc toi aussi tu es obligé de tuer pour vivre". Quand vous rétorquerez que les élevages intensifs sont ignobles, vous ne trouverez pas d'adversaires,  ils esquiveront. On vous parlera des animaux traités correctement dans les élevages traditionnels. C'est de la mauvaise foi bien entendu, car nous savons que l'immense majorité d'entre eux se fournissent au supermarché.

                En tout cas , le végétarien dérange et le questionnement  que suscite ce choix de vie est loin d'être anodin. Car derrière ces questions se cachent quatre impensés qui  sont chargés d'une grande puissance symbolique, celui du meurtre, de l'horreur du cadavre, de la mort et de l'anthropophagie.

    LE MEURTRE

                Les ethnologues ont constaté que toutes les cultures ont en commun deux tabous fondamentaux, le meurtre et l'inceste. C'est le premier qui nous intéresse bien évidemment. Il est  aisé de comprendre qu'un groupe d'humains qui ne le  proscrirait pas radicalement ne tarderait pas à disparaître. En effet, il déclenche toujours une réaction en cascade, il y aura la vengeance des proches de la première victime suivie de peu par la vengeance des proches de celui qui a succombé aux représailles et ainsi de suite. La base de l'éthique est toujours: "tu ne tueras point".
                Bien entendu, le meurtre est licite en dehors de la communauté et est justifié par un discours qui a pour objectif de montrer les différences entre "eux" et "nous". Communauté  toute petite au début, mais elle va s'étendre, entre autres, par  l'action civilisatrice des progrès de la raison humaine. Du clan on passe au village puis à la cité, puis c'est d'états dont il s'agira. Le Siècle des lumières engendrera  la Déclaration des droits de l'homme qui balaiera les arguments différentialistes et accordera à tous les hommes les mêmes droits dont le plus élémentaire est de pouvoir vivre à l'abri de la violence d'autrui.

                Il semble bien que l'histoire ne s'arrête pas là. Le 21e siècle vit une autre révolution philosophique et scientifique. Les arguments qui légitimaient l'exploitation des animaux  par l'homme sont en train d'être déconstruits et sont devenus caducs. Grâce aux neurosciences et à l'éthologie, nous savons maintenant qu'ils ont une conscience, qu'ils souffrent , qu'ils sont capables d'éprouver de l'empathie et d'autres émotions que nous croyions propres au genre humain.

                Il est de plus en plus évident qu'ils nous ressemblent beaucoup ,  cela soulève des questions éthiques évidentes. Est-il légitime de les tuer pour les manger? Si je les mange, suis-je un assassin? Les végétariens sont des emmerdeurs parce que leur mode de vie montre qu'à cette question il  faut répondre: oui!

                En effet,  la mise à mort d'un animal ne va plus de soi dans nos sociétés modernes, elle n'est acceptée que si elle relève de la plus stricte nécessité.  Les millions de végétariens en bonne santé d'Europe et des États-Unis sont la preuve évidente que tuer un animal pour assurer notre survie n'est plus nécessaire. Chaque omnivore est donc renvoyé à cette image embarrassante de lui-même, celle d'une personne si futile et égoïste qu'elle préfère laisser endurer d'importantes souffrances  à un autre être vivant que de renoncer aux dix minutes de plaisir gustatif.

     L'HORREUR DU CADAVRE

                Les hommes ont toujours éprouvé pour le corps sans vie d'un proche de la répulsion, mais ce qui effraie davantage c'est le processus de putréfaction, c'est la charogne. De cette manière, on peut expliquer le fait que toutes les cultures fassent disparaître les cadavres de la vue des vivants. Enfouissement , crémation, exposition, immersion, techniques variées qui réalise le même objectif: éloigner l'idée obsédante de la mort.
                Il y a de nombreuses ressemblances entre un cadavre d'homme et le cadavre d'un animal. Rigidité cadavérique, rougeur du sang qui d'abord suinte puis se solidifie. Au niveau anatomique, on retrouve les mêmes structures: muscle, os , tendons, artères, nerfs, etc.  Le paradoxe est que l'un nous fait horreur, l'autre est une promesse de délices. Les gourmets d'aujourd'hui évitent de méditer ces idées et dans une société hypercarniste comme la nôtre, il est délicat d'éveiller la sensibilité du consommateur. Qu'il se rassure, tout est fait, depuis sa petite enfance pour lui épargner une douloureuse prise de conscience.

                Qu'est-ce donc l'art culinaire ? Si ce n'est d'abord un art de la dissimulation. Le vocabulaire employé y  est savamment choisi, on préfèrera par exemple le mot viande au mot muscle, le mot cadavre n'est jamais employé. Quant aux bouchers et aux éleveurs ils n'emploient plus le mot tuer ou abattre, mais bien le terme plus élégant de réformer.

                Peu aiment les parties de l'animal qui  frappent l'imagination, en particulier la tête qui est souvent mise de côté. D'ailleurs la nette préférence des modernes pour les morceaux de viande, les hamburgers, le jambon , les saucisses, le haché, les nuggets, démontre qu'il s'agit là, surtout , de faire l'économie de la présence du corps sans vie de la bête.

                Les végétariens sont des emmerdeurs parce que leur présence fait voler en éclat ces dissimulations, on voudrait qu'ils se rangent à l'évidence, qu'ils se plient à la coutume, on voudrait leur crier que "Oui, manger des animaux c'est moche! mais comme on ne peut pas faire autrement, cessez de nous couper l'appétit. "

    LA  MORT

                L'angoisse la plus terrible pour l'homme est sans aucun doute celle qui est liée à l'idée de sa propre mort et à celle de ses proches. C'est ce que nous voulons éviter à tout pris, cette peur est inscrite dans nos gènes. On parle alors d'instinct de survie. Instinct que nous partageons avec tous les animaux, ce point commun, plus que tout autre permet de se figurer l'horreur des abattoirs, la terreur des animaux. Il ne nous plait pas de nous savoir infliger aux autres ce que l'on ne voudrait surtout pas que l'on nous inflige. Tant que nous nous octroierons ce droit, comment espérer un monde sans violence.

                Les végétariens sont des emmerdeurs parce qu'ils sont les témoins des petits arrangements hypocrites de l'individu avec lui-même, ils sont des miroirs qui reflètent les contours  d'un être léger et égoïste. Le déni qui nous empêche de prendre la mesure de nos erreurs et des crimes commis à l'égard de la nature et des animaux est profondément ancré dans notre culture. En sortir n'est jamais évident et ceux qui  l'ont fait ne devront pas s'étonner de rencontrer beaucoup de résistance chez ceux qui y sont plongés profondément.

     L'ANTROPOPHAGIE

                Si nous dévorons notre roast-beef de façon désinvolte, on l'a vu, c'est parce que notre culture véhicule une idéologie qui partage le monde en deux, il y a nous et la nature. Le spécisme, car il faut bien lui donner un nom, est un ensemble de valeurs , d'idées qui considère l'homme comme un être supérieur aux autres créatures.  Lui faire du tort c'est commettre un sacrilège. Par contre, de par son statut, lui a tous les droits, il peut à loisir exploiter, encager, torturer, spolier, posséder, détruire les autres êtres vivants.
                Lorsque nous mangeons de la viande, cette idéologie nous permet d'éloigner de nous l'image du semblable qui provoque en nous le dégout. En effet, plus un animal nous ressemble au niveau  physiquement ou comportemental,  plus il nous est difficile de le manger.  Pour beaucoup de gens, manger du singe ou du chien est impensable. Derrière ces dégouts se cache la répulsion que nous inspire l'anthropophagie. Les films d'horreur s'en servent comme d'un ressort pour engendrer des émotions fortes chez le spectateur. La mode des zombies est un exemple frappant, mais nous pourrions évoquer les succès des films de vampires ou de loups-garous, celui des dents de la mer, de Jurassic Park et d'Hannibal. Dans ces films le monstre c'est celui qui se nourrit de chair humaine, un être maudit qui doit prendre la vie des autres pour continuer la sienne.

                Il y a anatomiquement très peu de différence entre la chair humaine et la chair d'un autre mammifère;  il est facile d'y voir un autre nous-mêmes. Les végétariens sont des emmerdeurs, car ils nous obligent à reconnaître, qu'à moins de renoncer à la prédation, nous sommes pour les animaux rien d'autre que des monstres.

                F.Derzelle