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  • PLUS BESOIN DE TORTURER POUR TESTER NOS MEDICAMENTS

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    Régulièrement, des commandos d’« amis des animaux », appelés écoterroristes, vont saboter de grands labos et délivrer les cobayes destinés à leurs expérimentations, au grand dam de certains « amis des humains ». Ce conflit n’a plus lieu d’être. Il existe des tests non-violents - et plus efficaces - pour tester la toxicité des milliers de produits chimiques mis sur le marché. Écoutez ce qu’en dit Claude Reiss, le chercheur français le mieux informé sur le sujet.


    Physicien de formation, biologiste spécialisé en toxicologie moléculaire, ex-directeur de recherche du laboratoire Structure et dynamique du génome au CNRS de Gif-sur-Yvette, auteur et coauteur de plus de 250 publications scientifiques, Claude Reiss a consacré sa vie à la recherche sur le cancer et le sida. Connu pour ses travaux en toxicologie sur cellules, il est convié en 1992 à un débat radiophonique consacré à l’expérimentation animale. Reiss explique alors pourquoi le modèle animal lui semble faire obstacle au progrès et comment à l’inverse avec ces nouvelles technologies que sont la biochimie (l’étude des processus chimiques de la matière vivante) et l’informatique, il est possible de mieux comprendre comment une cellule est agressée en présence d’un produit potentiellement toxique. Relation de cause à effet ou pas, quelques mois plus tard, Reiss est sommé de quitter dans les meilleurs délais l’institut Jacques Monod où il travaille depuis dix sept ans ! Muté avec la moitié de son équipement, de son budget et de ses techniciens, l’événement tombe mal : le chercheur vient tout juste de bénéficier de deux contrats de recherche importants, l’un portant sur le sida, financé par l’Agence nationale de recherche contre le sida (ANRS), l’autre de la CEE, en collaboration avec plusieurs laboratoires européens, dans la lutte contre le cancer. L’homme ne s’avoue pas vaincu pour autant et poursuit ses recherches. En 2003, il créé avec d’autres chercheurs issus du CNRS, Le comité scientifique Antitode Europe, une association à but non lucratif oeuvrant pour une meilleure prévention en matière de santé humaine. Une mission de la plus haute importance à l’heure où le rôle de la pollution chimique dans l’apparition de cancers, des allergies et des maladies neurologiques n’est plus à démontrer - à noter que depuis 40 ans, des chercheurs ne cessent d’alerter les pouvoirs publics. Pour Claude Reiss, il est désormais urgent de repenser la manière dont sont testés les produits chimiques avant leur mise sur le marché, c’est à dire développer d’autres méthodes que l’utilisation des tests de toxicité effectués sur des animaux. L’affaire n’est pas nouvelle mais dépasse de loin la simple et vieille querelle des pro et anti-expérimentation animale.

    Nouvelles Clés : Que reprochez vous au modèle animal ?

    Claude Reiss : Chaque espèce a évolué dans une niche écologique spécifique où elle a prospéré en adoptant son métabolisme, ses systèmes de défense, sa physiologie. Bien qu’il y ait une unicité du vivant, face à une agression de l’organisme, chaque espèce réagit donc selon les moyens qu’elle a développés. Il est donc dangereux de prétendre extrapoler à l’homme des résultats toxicologiques issus de l’expérimentation animale.

    N. C. : Les mécanismes fondamentaux de la vie sont pourtant communs à toutes les espèces ?

    C. R. : Il y a effectivement une grande unicité du vivant. Depuis la bactérie jusqu’aux mammifères en passant par les plantes, la vie est basée sur l’information stockée dans l’ADN laquelle est transcrite en ARN messager, lui même traduit en protéines. Pourtant, que des organismes partagent une stratégie de développement identique, ne signifie pas qu’ils réagissent à l’environnement de la même façon.

    N. C. : Pourriez-vous nous donner un exemple ?

    C. R. : Il y a quelque temps, on a expérimenté la métabolisation de certains médicaments chez le rat et chez l’homme. La plupart des substances que nous consommons sont métabolisées dans le foie par l’intermédiaire d’une bonne trentaine de gènes différents. Un des médicaments en question avait été métabolisé dans le foie du rat à 30% sous une certaine forme et à 50% sous une autre forme. Chez l’homme, il l’a été de façon différente. Au lieu des 30% obtenus chez le rat, on atteignait 70% chez l’homme et là où il y avait 50% pour l’animal, nous sommes tombés à 0,7% chez l’homme. Ces résultats parlent d’eux-mêmes. On sait effectivement depuis longtemps, que la manière dont une substance se dégrade dans l’organisme est très différente chez le rat, le chien, le singe et l’homme et que les lésions éventuellement causées par l’absorption de ce produit ne sont pas forcément identiques. Il existe des exemples connus. Alors que la morphine rend fou n’importe quel chat, le chien ne réagira pas à une dose vingt fois supérieure à celle recommandée pour un homme. De la même façon, le mouton peut manger de l’arsenic et le lapin de l’amanite phalloïde alors qu’une dose de pénicilline, si utile à l’homme, peut tuer net un cochon d’Inde. Sur la base d’un produit comme le fluoroacétate de méthyle, une substance toxique utilisée comme raticide, il est intéressant de noter que le singe est 73 fois plus résistant à ce produit que le chien et la souris tandis que le cobaye y est 10 fois plus sensible que le lapin. Tout animal réagit donc individuellement à l’agression d’un produit selon son espèce et son âge. Il développe des maladies qui lui sont propres, reste dépendant de comportement dictés par l’évolution et par son capital génétique. Quant à son environnement, il interfère en permanence avec son organisme. Stress, humidité, lumière, alimentation, heures et saisons, tout est source de fluctuation d’où l’idée de créer des modèles animaux standardisés. Problème : si l’on teste ces produits sur une population d’individus tous identiques, comment peut on reproduire alors les variations de réponses entre individus susceptibles de se trouver dans la population humaine ?!

    N. C. : Les industriels ont-ils conscience de ces faiblesses ?

    C. R. : Tout à fait. En 2006, le Conseil national de la recherche (NRC) des Etats-Unis a publié un rapport intitulé "Tests de toxicité au
XXIe siècle : une vision et une stratégie", dans lequel il dénonce les
failles des tests actuels sur des animaux et propose de mettre au premier
plan les tests réalisés sur du matériel humain, en l’occurrence des cultures de cellules humaines. L’industrie chimique et pharmaceutique en a pris bonne note, cette dernière étant déjà bien engagée dans cette voie. Il est grand temps de se tourner vers des méthodes véritablement scientifiques !

    N. C. : Quelles sont ces méthodes et pour quelle raison sont-elles plus fiables ?

    C. R. : La biologie moléculaire comme toutes les techniques in vitro qui exploitent les mécanismes vitaux offre cette possibilité de bavarder avec les cellules, notamment par l’intermédiaire de ce que l’on appelle les gènes de stress. Dès qu’un agent extérieur - produit chimique, choc thermique ou autres - agresse la cellule, celle-ci développe dès gènes de stress pour faire face à la situation. Le travail de mon équipe a consisté a capturer l’un de ses gènes, à le couper en deux et à souder derrière lui un repère visuel à base de luciférase, une substance que l’on trouve dans les méduses et les vers luisants, laquelle leur permettent d’émettre des signaux. Ainsi marquée, dès que la cellule émet un stress, elle devient luminescente. On peut alors tester sur cette molécule toutes sortes de substances. Elle répond dans les trente secondes et nous indique si le produit en question a attaqué ou non son ADN.

    Force est de constater que depuis le début des années 1990 l’utilisation de l’animal en toxicologie a commencé à décroître chez les grands industriels, eux-mêmes convaincus des avantages économiques et scientifiques de ces autres méthodes (modèles mathématiques, simulation sur ordinateur, cultures de cellules, etc.). Contrairement à des pays comme l’Angleterre et l’Allemagne - les pionniers en la matière de développement des méthodes alternatives - mais aussi l’Italie, la Suède, la Hollande, les Etats Unis et le Japon, la France s’est toujours démarquée par sa mauvaise volonté. Guère étonnant quand on sait que les gouvernements successifs ont été invariablement conseillés par un sérail de vieux chercheurs et techniciens récalcitrants formés à l’ancienne école et donc davantage attachés à persuader les pouvoirs publics de la nécessité de poursuivre l’expérimentation animale que de permettre à la France de rattraper son retard considérable. Tout a toujours été fait pour passer outre les volontés internationales et le savoir-faire des chercheurs français au profit de différents avantages comme l’ économie basée sur l’expérimentation animale ou la possibilité pour des industriels de continuer à produire légalement des substances toxiques. On peut se demander de toute manière à quoi peuvent bien servir ces tests sur les animaux quand on sait que des substances toxiques chez l’animal sont malgré tout vendues dans le commerce. L’acétate de benzoyle, parfum ajouté dans les lessives s’est révélé cancérigène chez le rat, la souris et le hamster. Malgré ces résultats, le produit a reçu l’autorisation de commercialisation parce qu’il ne s’était pas monté dangereux pour une autre espèce de rongeur ! Lorsque La plupart de ces produits ont chez l’animal des répercussions, logiquement, il faudrait donc limiter l’utilisation de ces produits chez l’homme, pourtant, on légalise leur diffusion ! Donc, bien que les effets secondaires de ces produits (Formaldehyd, Dioxine, Furane, Lindane, PCP, etc.) aient été reconnus, on a autorisé leur élaboration et leur utilisation. Les exemples sont nombreux. Le Diphényle E 230 utilisé pour le traitement des agrumes provoque chez l’animal de labo des affections hépatiques et rénales. On sait depuis quarante ans que les ethers de glycol sont cancérigènes pour les embryons animaux, nombreux sont les produits d’entretien, peinture ...qui pourtant en contiennent encore. Que dire de ces gouvernements qui se prémunissent en responsabilité en se fiant eux aussi sur la base d’expérimentations animales afin d’établir des normes d’eau potable, des limites de la qualité de l’air et des sols. Des réglementations qui protègent avant tout l’industrie.

    Vous avez dit sécurité sanitaire ?! Le 1er juin 2007 est entré en vigueur la nouvelle réglementation chimique européenne ayant pour objectif d’offrir au public une meilleure protection sur la base de quelques cent mille substances chimiques présentes dans notre environnement. Cette réglementation baptisée REACH (enRegistrement, Evaluation et Autorisation des substances Chimiques) se propose donc d’étudier leur toxicité, de retirer du marché les plus dangereuses et, pour les autres, de redéfinir leurs conditions d’utilisation. Au-delà du fait que les fabricants doivent eux-mêmes fournir le résultat des tests de leurs propres substances ( !), la plupart des industriels dénoncent un système coûteux et un manque de toxicologues compétents. Même le ProfesseurThomas Hartung, conseiller scientifique de la Commission européenne, qualifie lui aussi les actuels tests de toxicité sur animaux de "tout simplement de la mauvaise science." Pour palier à ces failles, Antidote Europe, dont le siège social est à Strasbourg, a démontré la pertinence et la faisabilité de tests dits de toxicogénomique.

    N. C. : De quoi s’agit-il exactement ?

    C. R. : Avec mon équipe de chercheurs, nous avons développé une plate-forme informatique capable de gérer un ensemble d’automates pour tester parallèlement des centaines de substances en un temps record et à un coût dérisoire, alliant ainsi recherche scientifique pertinente pour notre santé et compétitivité industrielle. Contrairement à la toxicologie sur animaux, le Programme de toxicologie scientifique que nous avons développé permet d’interroger des cellules HUMAINES en culture, exposées à la substance à tester. Il est peu coûteux car facilement automatisable ; il est aussi très rapide puisque sur la base d’une substance à tester, le résultat est disponible en quelques jours seulement, fournissant une évaluation sur plusieurs critères (cancérogénicité, immunotoxicité, neurotoxicité, etc.) alors que le seul test de cancérogénicité sur les animaux, par exemple, se déroule sur deux à quatre années ; le tout pour un coût d’environ 10.000 euros par substance (contre 2 à 4 millions de dollars) Le PTS se fonde sur la génomique (connaissance de la fonction des gènes humains) et les puces à ADN (dispositif pour détecter d’éventuels dysfonctionnements de ces gènes). Des programmes de toxicogénomique sont en cours d’exploitation aux Etats-Unis mais l’Europe est en retard dans ce domaine. De même, pour les puces à ADN, de nombreux brevets existent déjà aux Etats-Unis mais Antidote Europe n’a identifié qu’un seul laboratoire européen capable de les produire. Le PTS est donc une technique innovante et Antidote Europe a démontré qu’elle pouvait être mise en place dès aujourd’hui si la volonté politique était suffisante. Un Centre de toxicogénomique utilisant l’approche proposée par Antidote Europe permettrait de tester les 100.000 substances en deux ans pour un budget total de 1,5 milliard d’euros.

    N. C. : Votre méthode a-t-elle donné des résultats concrets ?

    C. R. : Pour prouver la fiabilité et la faisabilité
d’expériences de toxicogénomique, Antidote Europe a dirigé une étude,
par cette méthode, de 28 substances chimiques parmi les plus présentes
dans notre environnement et susceptibles d’affecter notre santé. Les
résultats de 22 de ces analyses viennent de recevoir leur numéro
d’enregistrement dans la base internationale spécialisée MIAME (Minimum
Information About a Microarray Experiment ; numéros d’accès : E-TOXM-31
pour les expériences, A-MEXP-798 pour le design de la puce).L’expertise d’Antidote Europe dans ce domaine est donc ainsi reconnue par la communauté scientifique internationale.

    N. C. : Ces méthodes seront-elles utilisées dans le cadre de REACH ?

    C. R. : Antidote Europe s’emploie depuis plus de deux ans à ce que la
toxicogénomique soit rendue obligatoire dans le règlement REACH et a
obtenu qu’elle soit inscrite officiellement dans le préambule de ce
règlement européen sur les substances chimiques entré en vigueur le 1er
juin dernier. Je rappelle que la toxicogénomique est déjà utilisée aux Etats-Unis depuis des années. Plus récemment, le Centre commun de recherche, sous l’égide de la Commission européenne, s’est doté d’un département de toxicogénomique. Alors qu’elle fournit des résultats valables pour l’homme, qu’elle est bien plus rapide et moins chère que les tests actuellement requis, pourquoi son utilisation est-elle retardée ? L’allemagne, le Japon, l’Italie, la Belgique ...évoluent dans ce sens alors que la France, deuxième puissance chimique en Europe, reste comme toujours muette sur cette question. Rien d’étonnant à cela lorsqu’on sait que Jacques Chirac s’était allié à Tony Blair pour réclamer que REACH ne constitue pas une charge trop importante pour l’industrie chimique. Plutôt que de tirer parti des méthodes modernes pour mettre en évidence la toxicité des substances chimiques, des tests continueront à se faire, comme au Moyen Age, sur des animaux, et à fournir des résultats aussi aléatoires qu’un jeu de pile ou face... à moins que ces résultats ne soient orientés pour innocenter des substances pourtant dangereuses !

    Contact : www.antidote-europe.org

     

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  • Végétarisme et non-violence

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    Je voudrais vous parler un peu de végétarisme, bien que vouloir parler de végétarisme dans une revue axée sur la promotion de la non-violence puisse paraître saugrenu. La violence se rencontre partout et tellement dans ce monde, de l'échelle de nos immeubles à l'échelle de nos États que, face à cet accablant constat, disserter du contenu de nos assiettes peut sembler avoir des relents de scandale. " Vous n'avez vraiment pas autre chose à faire ? " Cette réaction est compréhensible ; mais je voudrais argumenter ici qu'elle doit être dépassée ; qu'il existe un lien entre ces deux notions ; un lien que personnellement j'estime très fort, intime, structurel même - sans doute parce que je suis venu moi-même au végétarisme porté par cette idée de la non-violence - un lien qui est d'essence logique.
    Je sais bien - par expérience - que ce lien n'est pas évident. S'il l'était, tout militant de la non-violence serait aussi végétarien ! Comme nous savons tous que ce n'est pas le cas, c'est que le lien logique entre végétarisme et non-violence n'est pas perçu comme il pourrait l'être. Certains en profiteront pour dire qu'il n'existe pas ; mon propos est ici de faire voir qu'il existe bien… et de donner à réfléchir. À chacun ensuite de se déterminer en conscience.
    Avant d'aller plus loin, notons que ce lien - que pour l'instant je postule - n'est pas à double sens. Je n'ai pas dit " tout végétarien serait aussi militant de la non-violence " ; j'ai employé l'expression inverse. Rien n'empêche a priori un végétarien d'être aussi cruel qu'un certain Adolf Hitler, lequel pratiquait le végétarisme de temps à autre. On peut même envisager que l'on soit végétarien par un souci morbide de la pureté qui, poussé à son extrême, deviendrait une théorie de la pureté raciale. En réalité, les cas de " végétariens sanguinaires " sont plutôt difficiles à trouver (en connaissez-vous ?) - surtout si l'on considère ceux qui ont fait un choix réfléchi et non les intermittents -, mais il est envisageable que cela puisse se rencontrer, car, malheureusement, tout finit par exister. Cela ne devrait pas faire oublier le fait que, fondamentalement, on peut envisager le végétarisme sous l'angle de l'idée de la non-violence appliquée aux animaux.
    Être végétarien semble souvent n'avoir aucun rapport avec une idée construite a priori. On serait végétarien ou pas comme on serait amateur ou pas de Mozart, de rugby, ou de vacances à la montagne, avec le présupposé que tous les goûts sont dans la nature ; une chose comme une autre, en quelque sorte ; une option purement personnelle. D'un autre côté, il arrive que cela semble avoir un rapport avec tellement d'idées différentes évoquant des constructions tellement disparates que l'on finit par s'y perdre. Est-ce à cause de la peur des maladies, du fait que tel " grand maître " était végétarien, du gaspillage des protéines par l'élevage, pour augmenter son énergie spirituelle, pour suivre un régime, par dégoût du sang ? Je ne nie pas qu'il puisse exister une liste interminable de raisons d'être végétarien, toutes défendables. Mais la forêt ne doit pas cacher l'arbre… Une raison fondamentale d'être végétarien se résume à une idée très simple : ne pas nuire. Et cette idée est basée sur un concept très simple : la non-violence. Et ce concept trouve ses sources dans une conception du monde qui place le respect des individus au centre de sa pensée.


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    Lettre ouverte aux non violents

    Si la non-nuisance est au centre de l'idée de la non-violence et au centre d'une certaine idée du végétarisme, alors les deux concepts sont logiquement liés. Comment expliquer qu'ils ne se recouvrent pas davantage ? Cela peut tenir à la difficulté d'approcher le végétarisme sous l'angle des raisons pour y adhérer.
    Le fait que l'on puisse rencontrer des végétariens convaincus pour telle ou telle raison que l'on trouverait soi-même ridicule, malsaine ou sectaire est sans doute un repoussoir pour de nombreuses personnes qui, autrement, seraient tentées par le végétarisme. Comment peut-on adhérer à des idées pareilles ? Être ou ne pas être végétarien est une question qui peut donner lieu à des arguments allant de la quasi-indifférence (c'est bien, mais vous faites ce que vous voulez…) jusqu'au fanatisme le plus poussé (Dieu demande que vous soyez végétarien !). Dans ce débat du pour et du contre, tout a déjà été dit, ou presque. Il est pourtant une attitude qui permet aisément de se débarrasser l'esprit de tous les argumentaires plus ou moins envahissants rencontrés par-ci par-là. C'est simplement de prendre la question à l'envers ; au lieu de se demander " quelle est la bonne raison pour être végétarien ? ", et de se perdre dans l'examen des unes et des autres, il suffit de se dire " et que se passe-t-il si je ne suis pas végétarien ? " Tous les raisonnements si élaborés soient-ils ne devraient pas nous faire oublier les conséquences du fait de ne pas être végétarien.
    Le fait de ne pas être végétarien a de multiples conséquences, que l'on pourrait chercher à détailler par ailleurs ; mais la plus simple, la plus évidente et la plus incontournable est celle qu'il faudrait toujours avoir à l'esprit : c'est que des animaux sont tués pour qu'on les mange. Pour toute personne n'ayant aucune habitude de réfléchir sur sa relation au monde, cette constatation pourrait constituer le point terminal de la pensée : " oui, on les tue et puis on les mange, et alors ? " Pour un militant de la non-violence, il me semble que cette constatation devrait constituer au contraire le point de départ d'une nouvelle pensée : " la mort infligée aux animaux est-elle une violence ? Quelle est la cohérence d'une vie à la fois non violente et non végétarienne ? " La réalité, c'est que ces questions n'occupent pas la place qui leur revient dans l'esprit de ceux qui militent pour la non-violence. Je trouve qu'il y a là un déficit de la pensée, qui se traduit par une incohérence dans le comportement, et conduit à ne faire que la moitié de ce que l'on pourrait faire. L'" autre moitié " oubliée du monde, " moitié " non pas au sens quantitatif mais qualitatif, la " moitié " animale non humaine de ce monde, fait malheureusement les frais de ce déficit de pensée.
    Bien que l'on puisse aborder le végétarisme par de multiples chemins de réflexion, la voie royale consiste en une interrogation existentielle : donner la mort à des êtres vivants, n'ayant d'autre chose à se reprocher que le fait d'être là, et sans autre justification que la seule volonté de celui qui commet l'acte, n'est-ce pas la plus extrême des violences ? J'ai employé à dessein l'expression " êtres vivants " (alors que j'aurais pu parler d'" animaux ") pour que l'on comprenne bien toute la portée de cette interrogation. Si les êtres vivants en question étaient des humains - des Indiens d'Amérique, par exemple, ou des Noirs d'Afrique, ou des Juifs du monde entier -, la réponse ne souffrirait aucune ambiguïté : c'est effectivement la plus extrême des violences, celle qui consiste à supprimer la vie d'individus innocents pour la seule raison que celui qui commet l'acte (le colonisateur, l'esclavagiste ou le raciste) possède la force de le faire et la volonté de le faire. Car cela revient simplement à appliquer ce que l'on appelle le " droit " du plus fort.
    Poser la question en ces termes revient à mettre l'accent sur la notion de " conception du monde ". Voulons-nous d'un monde dans lequel la force fonde le droit, ou d'un monde dans lequel la force procède du droit ? Lorsqu'il s'agit d'êtres humains, toute l'évolution culturelle de l'humanité revient à développer le second terme au dépend du premier. Le concept de non-violence est l'un des produits de cette évolution. Nous considérons que son application aux humains est un progrès moral que nous essayons constamment de renforcer. Et, lorsqu'il s'agit d'animaux, qu'est-ce que cela change ?
    Si l'on veut bien faire un effort de raisonnement logique, on s'apercevra que cela ne change rien. Dans la question existentielle précédente, l'expression " êtres vivants " est remplaçable aussi bien par " humains " que par " animaux ". Le fait que l'on change d'espèce ne change rien à la réponse. Du moins rien de logique ne justifie que la réponse change. Seule notre subjectivité humaine et notre tendance à nous considérer comme ontologiquement différents des autres animaux pourrait conduire à répondre par la négative. Mais dans tous les cas, sur le strict plan de la rationalité, donner la mort à " des vies voulant vivre " reste d'une extrême violence - quelles que soient les " vies " en question - lorsque, toute justification morale étant absente, seul le droit du plus fort peut en constituer la raison.


     


    Le fait que toute justification morale soit absente est aisé à comprendre. La justification morale du meurtre des animaux pour servir de nourriture aux humains existerait si ce genre de nourriture était indispensable à l'espèce humaine ; j'entends si le seul fait de ne pas manger d'animaux entraînait une dégénérescence, des maladies, ou la mort. Imposer un tel état aux humains serait contraire au respect de la vie humaine ce qui, moralement, justifierait que l'on tue pour se nourrir, quelques réticences que l'on puisse avoir par ar ailleurs. Mais il est un point de logique dont il faut bien être conscient ; j'insiste sur ce fait que la justification ne pourrait opérer que si l'acte même de manger des animaux était indispensable, et qu'aucune autre solution ne soit possible. Si l'acte n'était pas indispensable, c'est-à-dire en cas d'alternative alimentaire possible, dispensant de tuer pour manger, et qui soit strictement équivalente au fait de tuer des animaux, toute justification morale disparaîtrait, et ne resterait que la seule justification basée sur le droit du plus fort à exercer comme bon lui semble sa volonté de tuer. Et cela constituerait par le fait même un comportement d'une extrême violence.


    Or nous devons nous rendre à l'évidence, que dans nos sociétés de diversité et d'abondance alimentaire, le végétarisme - le fait de ne pas consommer de chair animale d'aucune sorte - est une solution reconnue comme ne posant aucun problème de santé. Mieux, c'est une solution reconnue comme un facteur de prévention d'affections spécifiques, telles que les maladies cardiovasculaires. Mais je ne développerai pas ce point, mon but n'étant pas de citer des études médicales ou des positions officielles, ni de discourir sur les bienfaits du végétarisme pour la santé humaine. Cela se trouve dans une littérature assez abondante. Mon but était de montrer que, lorsque la justification morale au fait de tuer des animaux pour notre nourriture n'existe pas, le fait de tuer quand même est contraire à tout concept de non-violence. Par ailleurs, insister sur la santé reviendrait à essayer d'inculquer une raison précise à être végétarien ; or j'ai expliqué que la plus logique approche consistait non pas à chercher une raison d'" être ", mais à réfléchir à la conséquence de n'" être pas ".
    N'" être pas " végétarien, ici et maintenant, ne peut donc qu'être une attitude de violence moralement injustifiable vis-à-vis du monde animal non humain, que nous dominons parce que nous sommes les plus forts. C'est cette réflexion qui me semble être - globalement - absente du milieu de la non-violence, lequel est axé sur l'analyse du comportement humain vis-à-vis de l'humain, et oublie trop vite que la violence n'est pas définie comme une attitude intra-humaine, mais une attitude en général ; aucune raison logique ne permet de dire que tuer un animal n'a rien à voir avec la violence alors que tuer un être humain aurait tout à y voir. D'un point de vue humain, le degré d'insupportabilité de l'acte peut certes être différent (on supportera différemment de voir tuer un cochon et de voir tuer un enfant), mais l'acte en soi n'est pas qualitativement différent dans un cas ou dans d'autre. La capacité à subir des violences n'est pas plus la caractéristique d'une espèce particulière que ne l'est la capacité à souffrir. La violence est en fait un déni de respect de la vie, et la vie n'est pas une propriété de la seule espèce humaine.

     

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    Le non-végétarisme ne se traduit pas par un martyre animal immédiatement appréhendable par les sens - même si martyre il y a dans les élevages, les transports et les abattoirs. En effet, la plupart d'entre nous ne voient jamais les étapes intermédiaires entre un animal vivant (que l'on peut même s'efforcer de traiter " humainement ") et le morceau de viande qui atterrit dans l'assiette. Cela peut constituer un obstacle à l'assimilation entre non-végétarisme et violence. Mais cela ne doit pas faire oublier que, dans la seule France, trois millions d'animaux d'élevage environ sont tués chaque jour pour être mangés, que plus de trente millions d'animaux sauvages périssent chaque année du fait de la chasse, et qu'un nombre incalculable d'animaux marins subissent le même sort par la pêche. Or, comme je l'ai précédemment dit, " donner la mort à des êtres vivants, n'ayant d'autre chose à se reprocher que le fait d'être là, et sans autre justification que la seule volonté de celui qui commet l'acte, n'est-ce pas la plus extrême des violences ? ".
    Si la logique philosophique est respectée, c'est effectivement une violence des plus graves, puisqu'elle a pour objet des êtres innocents, ayant le malheur de se trouver à notre merci, et subissant leur sort du fait d'une volonté non justifiable de les tuer, étant donné qu'une solution crédible et reconnue existe.
    Le fait de ne pas être végétarien, pour une personne militante ou simplement soucieuse de non-violence, m'apparaît donc comme une incohérence dans sa pensée, une contradiction dans ses principes et une insuffisance dans ses actes. Bien sûr, le débat sur la nécessité ou non d'être végétarien lorsqu'on est non-violent ne va pas se clore sur cette affirmation péremptoire ; encore faut-il avoir envie d'y voir matière à débat et de ne pas évacuer la question d'un revers de fourchette en rétorquant " ce ne sont que des animaux ". À ce genre d'affirmation, le philosophe allemand Theodor Adorno a d'ailleurs répondu bien mieux que je ne pourrais le faire en disant sans prendre de gants " Auschwitz commence à chaque fois qu'en regardant un abattoir, quelqu'un pense ce ne sont que des animaux ".
    Personnellement, je suis venu à la non-violence par la fréquentation littéraire de Gandhi et de Lanza del Vasto. Et le premier acte qu'il m'a paru nécessaire de faire pour être un non-violent actif, ce fut de devenir végétarien, pour supprimer activement une violence immédiatement et facilement supprimable, peut-être la plus insidieuse de toutes, celle que l'on accepte encore de justifier dérisoirement par l'amour de la tradition, la formation du goût ou la nécessité physiologique, et qui se traduit par la tuerie des animaux, parce que ce ne sont que des animaux. Peut-être cela m'a-t-il été plus facile parce que Gandhi et Lanza étaient déjà végétariens. Mais je ne crois pas que ma démarche ait été si extraordinaire que cela. Chacun peut se faire les mêmes réflexions sur la cohérence logique à être végétarien lorsqu'on est non-violent. Et ma plus grande satisfaction serait que ce rapide survol sur les relations entre non-végétarisme et violence conduise les personnes adhérant à l'idée de non-violence à s'interroger sur le fait que le végétarisme, loin de n'avoir aucun rapport avec une idée construite a priori, loin d'être une option personnelle à prendre ou à laisser, est au contraire intrinsèquement lié à l'attitude non violente, car son absence rend celle-ci philosophiquement incomplète.

    André Méry Décembre 2002