« C'est l'histoire d'une grosse bête de 150 kilos qui poussée par les
besoins de son espèce à se reproduire s'était mise à bramer à 200 m des
maisons. Il faisait la joie des habitants du lieu, des enfants de tous
horizons aux yeux écarquillés d'émerveillement, des habitants du village qui
se régalaient de ce spectacle grandiose, surtout quand survenaient les
biches et que le gros mâle se mettait dans tous ses états nous faisant
sentir au fond de nos tripes la puissance et la beauté de la Nature. Tout le
monde en parlait, c'était le sujet de conversation, d'admiration. Tous
s'arrêtaient là car il y avait une lunette d'observation qui permettait de
contempler les moindres détails, en plein jour, là, tout près.
Tous étaient intimidés par la force, la beauté, la puissance...le
sauvage...la Nature dans sa grandeur si près des maisons...trop près sans
doute.
Ce matin, une bande d'abrutis a décidé d'y mettre fin. Une balle a suffi.
Une balle tirée de loin bien sûr. Un combat inégal. En plein brame, le cerf
s'est effondré, lamentablement, pitoyablement, lâchement fauché par
largement plus con que lui. Il ne fallait pas qu'il s'approche trop près, il
aurait dû le savoir. Il n'y avait rien à attendre de cette espèce bête et
méchante à en pleurer.
Il a fini sous la botte du gros naze de service...pour la photo. Fier il
était, du haut de son 2 de QI, d'avoir mit fin à tant de beauté dont il
était incapable de percevoir la moindre nuance tant le monde pour lui se
décline en kaki et grosse bagnole qui fume plus que celle du voisin.
J'avais un cerf qui me réveillait le matin. Instants de bonheur, de
plénitude, de sérénité, d'adéquation avec le monde. Maintenant le silence
règne à nouveau. Je n'ai que faire de ce silence là.
Cela se passait à Ceilhes, hameau de Salvagnac, sud Larzac, confins
aveyronno-héraultais.
Cela se passe tous les jours. »
François Legendre