"Ce matin je me suis retrouvée en pyjama au milieu de la nationale, à faire la circulation pour éviter à un marcassin percuté par une voiture, qui ne s'était pas arrêtée, de se faire rouler dessus.
En pilant j'ai vu sa fratrie restée un peu à côté, en état de choc. Pas de maman. Puis je les ai vus se sauver, puis traverser plus loin. Pas de maman. Elle leur aurait dit qu'il ne fallait pas traverser. Elle les aurait guidés ses petits. En attendant, j'étais de nuit sur cette saleté de grand ruban froid, avec les feux de détresse de ma voiture et ma portière ouverte pour signaler le petit encore en vie. Il m'avait soufflé une grande giclée de sang sur le visage quand je me suis penchée.. Hémorragie cérébrale sans doute. Mais il cherchait encore à se lever. J'ai attendu que la circulation s'arrête pour le prendre dans mes bras. Les voitures s'écartaient peu. Je les gênais. Tout le monde était pressé.
Moi aussi j'étais pressée pour emmener ma fille à l'école. J'avais du nourrir la vingtaine de réfugiés non humains de la maison, à poils et à plumes. Faire le ménage d'urgence du matin, pour garder la maison saine au minimum. L'essentiel toujours. Jongler entre l'important et l'urgent. Réfléchir vite. Bref pas eu le temps de m'habiller (voilà pourquoi j'étais en pyjama....)
Heureusement, à force de sauvetages, j'ai le 06 d'un vétérinaire "résistant", qui ne l'achèvera pas sans tenter de le sauver, comme c'est ordonné par les lois de pierre, ce petit nuisible qui gémit comme un enfant sur la banquette arrière de ma voiture. Le sang coule encore un peu. Il est au chaud dans mon blouson. Ma petite à moi l'apaise de sa main, et lui parle doucement. J'aime ma fille de tout mon coeur.
Bref, en pyjama, à prévenir l'école que ma petite sera en retard ce matin. Maladie. Pas le temps ni l'envie de dire pourquoi. Pourtant, ce petit accidenté qui se bat pour survivre, il le mériterait bien, d'être mentionné sur le mot d'absence comme cas de force majeure. Il sent bon la forêt. Comme si un bouquet de forêt était dans la voiture.
J'ai passé ma langue sur mes lèvres. Machinalement. Il y avait du sang dessus, même goût que le mien. Avec cette odeur de forêt, de terre, de feuilles. Les fées doivent sentir pareil pour être invisibles me dis-je. Bizarre ces pensées parfois.
Je pense à mon ami d'enfance chasseur. Je lui demanderai comment ils peuvent savoir si c'est une maman ou pas quand ils tirent de loin ? Et puis merde, je lui demanderai aussi, encore, s'il se rend compte de tout ce retard qu'ils causent en droit animalier, pour conserver leur droit d'être des amoureux de la nature à leur façon... Parce que j'étais à ma place au milieu de la nationale ce matin en pyjama. Vraiment. Ce que j'avais fait depuis le matin était juste et bon. Je portais juste un peu trop l'irresponsabilité, le manque d'éducation, l'indifférence, d'une tripotée d'humains.
Mon véto résistant l'a mise sous anti douleur, puis observation, puis euthanasie l'après midi ( atteintes neuro trop importantes). C'était une petite. Celle qui avait pris la direction de la file. La première à se faire buter. Il n'y avait plus de maman. Juste moi. Avec du sang plein la gueule à me dire qu'un nuisible, c'est un être qui nuit. Et que ce matin, ce n'était pas cette petite la nuisible. Et qu'elle sentait bon la forêt. Et que son sang avait le même goût que le mien. Et que les lois sont encore injustes. Et que ce soir, j'expliquerai à ma petite la nécessité de la Politique. Elle comprendra. Elle a déjà compris."
On a donné un nom à la petite afin qu'elle ne soit pas juste "la petite" ce sera "Vendredi"
RIP Vendredi
Remarques : Il est en règle générale, (sauf dérogation) interdit à un particulier de mettre un animal sauvage, même blessé dans sa voiture. Rappelons que les animaux sauvages n'ont pas, contrairement aux animaux domestiques, le statut d'animaux sensibles !