C’est ainsi que depuis les années 50 en général, et depuis la fin des années 70 à Paris en particulier,
les populations de pies citadines augmentent régulièrement. Plus 7% par an en moyenne ! Et que trouve notre bel oiseau de si attirant en ville ?
D’abord, moins de corneilles, son ennemie héréditaire. Moins puissante, la pie subit la domination - et la prédation - du grand oiseau noir. La corneille préfère la campagne, elle s’est donc moins implantée que la pie en zone urbaine, même si elle ne déteste pas coloniser la ville. Au contraire, la pie adore la ville ! Plus c’est urbanisé, plus elle s’implante ! Plus de nourriture ensuite. On estime que 70% du régime alimentaire des pies citadines est d’origine humaine, déchets ou nourrissage ! Il n’en faut pas plus à la pie pour déménager en ville, en plus il y fait moins froid, et on y trouve quantité d’endroits pour faire des nids. Donc elle s’y reproduit plus facilement.
C’est ainsi qu’au fil des ans, on a vu des groupes de pies de plus en plus importants arriver dans les parcs et les jardins. Et on s’est habitué à voir tournoyer les beaux oiseaux noirs et blancs, notamment au début de l’été, au moment de l’apprentissage du vol par les jeunes pies… En plus, il existe une loi biologique. Plus la biodiversité diminue, ce qui est le cas en ville, plus certaines espèces particulièrement adaptables et tolérantes à la proximité de l’homme, deviennent abondantes. Surtout des corvidés d’ailleurs. Il en est donc des pies comme des pigeons…
D’un autre côté, il faut dire que la situation à la campagne est moins rose, pour ne pas dire carrément sinistre…
Rappelons que notre magnifique oiseau a subit à la campagne entre 1989 et 2001 un effondrement de 68% de ses effectifs…
La pie paie ici son inscription en bonne place sur la liste des oiseaux nuisibles. On estime à 2 225 000 couples reproducteurs la population des pies en France. Pour la seule saison 99-2000, les statistiques officielles font état de 180 000 pies piégées et 220 000 tirées… Et ce chiffre est largement sous-estimé puisque tous les oiseaux tués ne sont pas déclarés, loin de là. Si l’on estime à 500 000 le nombre de pies réellement tuées, on voit que l’on dépasse largement 10 % de la population détruite. Or à partir de 8 % de destruction, une population est vouée à décliner puis disparaître…
En France, c’est donc le piégeage et la destruction systématique qui sont les causes de la disparition des pies à la campagne. Le drame des animaux nuisibles est une notion ancienne, héritée des 18 ème et 19 ème siècle. A cette époque, il était de bon ton de tout classer en catégories,en particulier les animaux, répartis en espèces « utiles » ou « nuisibles » selon leur impact supposé, plus ou moins justement d’ailleurs, sur l’agriculture. C’est ainsi que nombre de mammifères et d’oiseaux héritèrent de cette véritable marque au fer… Puis cette notion fut récupérée par le monde la chasse qui l’adapta à ses priorités - tuer le maximum d’animaux – et se chargea de la perpétuer, au prétexte que ces animaux tuaient des canards, des perdrix, et des faisans. En 1988, le Ministère fixa définitivement par arrêté la liste des nuisibles - 12 mammifères et 6 oiseaux – et l’affaire fut pliée. Libre ensuite aux préfets des départements de déclencher à leur guise les exterminations…
En France, les piégeurs sont organisés en association, agréée en 2003 au titre de la protection de l’environnement par le Ministère de l’écologie… On compte des centaines de piégeurs par département, avec une formation et un diplôme. Ils ont leur magazine, qu’ils partagent avec les chasseurs de petits gibiers, preuve s’il en est qu’il s’agit plus pour eux d’une activité de loisir qu’autre chose… Sur plainte des particuliers, le préfet déclenche les hostilités et ordonne la destruction systématique, réponse disproportionnée au moindre écart du pauvre animal… Ce qui a pour effet de renforcer dans l’esprit du public l’idée que si on massacre ainsi une espèce, c’est qu’elle a dû se rendre coupable de crimes terribles…
Ces rappels étaient nécessaires pour expliquer la disparition de notre bel oiseau de la campagne. Pour exemple, on a tué pendant la saison 2006-2007 dans le seul département du Nord, 12 000 corneilles, 6000 corbeaux, et 10 000 pies… En plus, les méthodes de piégeage par cage-piège sélectionnent principalement les individus reproducteurs, les plus précieux pour l’espèce. Or la pie ne peut pas supporter plus de 8 % de taux de destruction. Il n’en faut pas plus pour expliquer aujourd’hui sa disparition des campagnes…
Tout cela ne fait que souligner l’archaïsme, pour ne pas dire plus, de la réglementation concernant les animaux sauvages en France. La tragédie des animaux nuisibles n’est au fond qu’une situation héritée de temps anciens et perpétuée par le monde de la chasse qui y voit le moyen de pouvoir continuer à tuer des animaux toute l’année en toute impunité… Et le plus rageant dans cette histoire, c’est que ce massacre à grande échelle s’effectue sans aucune justification biologique ni étude sérieuse quant au rôle et à l’impact réels de nos pauvres nuisibles sur les autres espèces…
Qu’on en juge plutôt… Entre 2003 et 2005, le Museum a conduit une étude en Seine Saint Denis sur les deux plus grands parcs urbains où les pies semblaient proliférer de façon particulièrement importante… On a estimé précisément les populations des 57 principales espèces de passereaux, et des 6 principales d’oiseaux d’eau. Puis on a retiré toutes les pies grâce à des pièges, et on les a relâchées 200 kilomètres plus loin. Et on a enfin recompté tous les petits oiseaux. Et quels ont été les résultats ? Eh bien il n’y avait aucune différence significative entre les populations d’oiseaux - sauf peut-être sur le nombre de jeunes mésanges bleues à l’envol – entre avant et après le retrait des pies ! Ceci s’explique par le fait que les oiseaux adaptent leur comportement et mettent en place
des mécanismes de compensation face à la prédation, à condition que celle-ci ne dépasse pas un certain seuil. Le verdict est sans appel : le piégeage est inutile pour la conservation de la nature.
L’exemple de la pie, massacrée de façon disproportionnée, et sans aucune justification biologique comme nous venons de le voir, ne fait qu’illustrer la tragédie que vivent les animaux classés nuisibles en France, pour le seul plaisir finalement d’un petit groupe de personnes. Chaque année les associations scientifiques demandent le retrait de certaines espèces, et chaque année cela est refusé, comme en 2006 pour la martre, la belette, et le putois… Face à cette situation, il est difficile d’être optimiste pour l’avenir de ces espèces… Encore la pie a-t-elle cette chance d’avoir réussi à se rabattre sur les villes où elle retrouve une – relative – sérénité. Au fond, la pie est bonne fille… Bien que nous ne le méritions pas, elle nous fait l’honneur, pas toujours désintéressé il est vrai, de vivre à
nos côtés et d’accepter notre voisinage… Pour nous citadins, c’est l’occasion d’observer à notre porte la vie quotidienne d’un remarquable oiseau qui lutte courageusement pour sa survie
Philippe Bergès, vétérinaire, Vice-Président de la SPOV, Sociéte protectrice des oiseaux des villes/