Le végétarisme est un sport de combat
A la suite de notre article sur le livre de Fabrice Nicolino, cette riveraine s'est sentie gênée par la présentation qui était faite des militants de la cause animale. Nous lui avons demandé son témoignage. Pour elle, devenir végétarien n'a rien d'extrémiste. Elle nous raconte sa démarche.
Devenir végétarienne n'a pas été le résultat d'une réflexion sur la cause animale. Certes j'y pensais… parfois. Mais j'avais réussi à dissocier les « gentils animaux » de leurs muscles, soigneusement empaquetés au rayon frais. Cette séparation entre l'animal vivant et sa chair a pris fin lors d'une visite au salon de l'agriculture. Je flânais, quand j'ai vu un agneau apeuré se réfugier auprès de sa mère, qui entreprit de le câliner.
Subitement, j'ai réalisé qu'en mangeant des côtelettes le midi, je tuais des êtres sensibles. Or, je pouvais éprouver de la sympathie envers ces animaux, comprendre une partie de leurs sentiments, de leurs liens. Je vivais déjà cela avec « mes animaux de compagnie » (dont la sensibilité va selon moi bien au-delà d'une projection anthropomorphique de notre part). Mais, pour pouvoir manger tranquillement, j'avais choisi d'être aveugle à cet aspect de la vie des « animaux de boucherie ».
Dès cet instant, je n'ai plus pu en manger.
Ce n'est pas manger « que des légumes »
Pourtant je ne me rendais pas tellement compte de ce que ça allait changer. J'avais peur que ma santé n'en pâtisse. J'ai lu. Visiblement, le besoin de l'organisme en produits carnés n'est pas si impérieux. J'ai appris qu'une alimentation végétarienne était variée et contenait, en plus des légumes, toutes les céréales, les algues, les légumineuses, le soja, et les œufs et les laitages (puisque je n'avais pas décidé d'être végétalienne).
Paradoxalement, en cessant de consommer viande et poisson, j'ai découvert tous ces aliments que je ne mangeais pas. J'étais sortie de ma routine culinaire.
Il restait à trouver comment cuisiner ces nouveaux ingrédients : la cuisine française traite souvent les légumes et les céréales comme de simples accompagnements (je mange depuis très mal quand je me hasarde dans certains restaurants gastronomiques). En rester là aurait rendu mes repas insipides. J'ai donc dû réapprendre à cuisiner. Je me suis tournée vers d'autres traditions culinaires, davantage d'épices, de fines herbes, d'autres méthodes. La cuisine végétarienne s'est avérée saine et délicieuse.
Devenir « marginale »
Mais je n'avais pas pensé à tout. Mon choix étant strictement personnel, je considérais qu'il ne regardait que moi : grossière erreur et grosse claque ! Dans les premiers moments où je me sentais fragile, quand je ne savais pas si j'allais « tenir », tout a été fait pour me dissuader. Mon caractère n'est ni très contestataire ni très militant. Et là, je rentrais dans la marge.
J'ai alors eu droit à tous les commentaires : les plus éculés « et le cri de la carotte ? », les plus stupides « tu préfères les animaux aux humains ! », les plus diététiques « tu verras quand tu seras malade », les plus naturalistes « un homme, ça mange de la viande », les plus politiques « le végétarisme est une alimentation bourgeoise »…
La réaction a été violente, avec comme devise implicite : « Renoncer à la viande, c'est renoncer à la grandeur de la vie. »
Les sites de végétariens, dénichés pour leurs recettes culinaires et cosmétiques, ont servi d'exutoire. J'y partageais les remarques et rejets subis. J'ai rencontré du soutien chez des gens dont je n'en attendais aucun, et une incompréhension totale dans des milieux qui se disent les plus tolérants.
Ma critique muette gênait, les représentations étaient trop ancrées. Pourtant, j'ai trouvé depuis beaucoup d'arguments confortant mon choix, peu en sa défaveur. L'argument naturaliste se veut sans appel. Or, je ne vois pas en quoi l'alimentation serait un domaine sur lequel l'homme ne pourrait faire porter sa réflexion et choisir sa conduite. Nous étions de grands singes tropicaux, notre nature a donc déjà été profondément remodelée.
Tourner les végétariens en dérision, c'est plus simple
Par contre, les arguments en faveur du végétarisme (ou au minimum d'une forte réduction de notre consommation de viande) sont très forts. Les conditions d'élevage industriel, qui permettent une telle orgie, sont insoutenables. Et en voulant à toute force manger tant de viande, on les rend nécessaires. Il faut conclure que « les poussins broyés vivants, c'est dur, mais on ne peut l'éviter ». Le nombre d'animaux abattus est terrifiant.
La pollution générée par l'élevage est considérable au niveau local (les nitrates) et global (14 à 18% des gaz à effet de serre). La quantité de céréales, et donc de terres, nécessaire à l'entretien de ce cheptel est astronomique. Les mers se vident de certaines espèces… Pourtant, nous fermons les yeux. Et c'est peut être pour cela qu'il est important de tourner les végétariens en dérision.
Aujourd'hui, l'étiquette végétarienne est bien collée sur mon front. Les gens que je connaissais l'ont admise, ceux que je rencontre l'intègrent à mon identité. Je suis de plus en plus sûre de mon choix, et de plus en plus peinée de voir qu'il n'est pas plus répandu.
Mais j'ai aussi conscience de faire bien peu en ne modifiant que mon comportement individuel. Alors que les militants pour la cause animale, si souvent dénigrés et moqués, travaillent concrètement pour changer les choses, et se battent pour des valeurs importantes même si marginales. Importantes parce que tellement marginales.